S’attaquer à notre vulnérabilité commerciale

Le Québec et le Canada doivent se rendre à l’évidence et s’y adapter : ils se retrouvent devant un puissant partenaire commercial qui ne respecte pas ses engagements, voire sa propre signature. Il y a urgence d’aborder cette vulnérabilité de front. Faut-il se rappeler la renégociation forcée de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) sous les menaces tarifaires, qui a donné naissance à l’Accord Canada–États-Unis–Mexique, signé officiellement le 30 novembre 2018, sous la première présidence trumpienne ? Et on remet ça !

Des droits de douane de 25 % sur tous les produits canadiens entrant aux États-Unis, des tarifs plus faibles, ciblés, graduels ou imposés en bloc… Au mieux, on pourrait penser que les produits stratégiques dont les États-Unis ont besoin seront tôt ou tard exemptés. Or, les produits que les Américains ne produisent pas suffisamment, mais qu’ils peuvent remplacer ou importer d’ailleurs, n’ont probablement pas la même chance. Faudra voir. Tout sera précisé le 1er février, a annoncé Donald Trump lundi.

Il faut le dire. Advenant que soit mise à exécution la menace d’application à la frontière de droits de douane généralisés de 25 %, c’est la récession assurée au Canada. La Chambre de commerce du Canada a estimé que de tels tarifs pourraient réduire le PIB du pays de 2,6 %, ce qui équivaut à un coût de 1900 dollars par an par ménage. Pour les États-Unis, cela signifierait une baisse de 1,6 % du PIB et une perte équivalente à 1300 dollars par an par ménage.

Au Québec, selon les propos du ministre des Finances Eric Girard recueillis par Le Devoir, « si nous avons des bonnes nouvelles, probablement que le mieux qu’on va faire, ce serait 2 % de croissance [en 2025]. Tandis que dans un scénario plus “catastrophe”, où il y aurait une récession provoquée par des tarifs d’un ordre de grandeur de ceux qui ont été évoqués, peut-être qu’on est à -1 % ».

Et les représailles vont venir. La réplique canadienne suivra, promet-on. Devant la contrainte, on parle d’emprunter la ligne dure, de répondre dollar pour dollar, de manière précise et minutieusement ciblée. Or, personne ne sort gagnant d’une guerre commerciale. Il a déjà été écrit qu’aux États-Unis, les tarifs américains provoqueraient une baisse de la croissance économique, une hausse du chômage ainsi qu’une nouvelle augmentation du taux d’inflation. Tout au plus, ces conséquences se verraient atténuées par la récente remontée du dollar américain. Si cela vaut pour l’un, cela vaut pour l’autre.

Récession et inflation

Une simulation présentée à la fin du Rapport sur la politique monétaire de juillet 2019 de la Banque du Canada repose justement sur un scénario où les États-Unis portent à 25 % les droits de douane sur toutes les importations et où leurs partenaires commerciaux réagissent en relevant au même niveau les droits de douane qu’ils imposent sur les produits provenant des États-Unis. On y lit qu’au Canada, le PIB finirait par diminuer de 6 % approximativement, cette baisse s’expliquant en grande partie par des exportations plus faibles et une chute des investissements des entreprises.

Appliquée aujourd’hui, cette contraction esquissée du PIB dépasserait celle de toutes les récessions précédentes, à l’exception du recul du PIB de 12,7 % causé par le début de la pandémie, ont spécifié les économistes de la Banque Nationale. La moyenne du recul du PIB observé lors des quatre dernières récessions (exclusion faite de la pandémie) est de 3,6 %.

Pour sa part, le dollar canadien se déprécierait de quelque 25 % par rapport à la valeur postulée dans le scénario de référence (dans un scénario actuel, Desjardins prévoit une descente autour de 0,65 $US). Et l’effet maximal sur l’inflation, telle que mesurée par l’indice des prix à la consommation, serait d’environ trois points de pourcentage (en glissement annuel) et serait atteint au bout d’à peu près un an.

Dans ses Perspectives de l’économie mondiale de janvier 2025, le Fonds monétaire international (FMI) fait ressortir une forte transmission aux prix des importations. « Et si l’on compare la situation avec ce qui s’est produit lors de précédents épisodes de différends commerciaux, […] les risques de voir les hausses de droits de douane provoquer une accélération de l’inflation pourraient être plus élevés cette fois. » L’institution ajoute que « les ripostes sous la forme de restrictions sur des matériaux ou des biens intermédiaires spécifiques et difficilement remplaçables pourraient exercer des effets colossaux sur l’inflation globale ».

Urgent besoin de diversification

Depuis la signature de l’Accord de libre-échange canado-américain en 1988, le Canada a conclu des accords de libre-échange avec plus de 50 pays. Pourtant, il n’en continue pas moins de diriger plus de 70 % de ses exportations vers les États-Unis.

Selon la dernière Enquête sur la population active de Statistique Canada, environ 1,8 million de personnes, représentant 8,8 % de l’emploi total, travaillent dans des industries où 35 % ou plus des emplois dépendent de la demande américaine pour les exportations canadiennes.

Face à la dépendance aux États-Unis, « on essaie de changer cela depuis des années, sans succès », selon les propos de Richard Ouellet, professeur de droit commercial international et titulaire de la Chaire sur les nouveaux enjeux de la mondialisation économique à l’Université Laval, publiés dans Le Devoir en décembre. « Mais pour y arriver et être un peu moins à la remorque des humeurs du président américain, il faudrait changer ce que l’on a à vendre. »

Il est vrai que les chaînes d’approvisionnement sont largement imbriquées, mais cela n’atténue en rien l’importance de rechercher une meilleure diversification, par produits et services exportés et par marchés de destination. Et cela n’empêche pas de revisiter la question des barrières interprovinciales et de la réduction des obstacles au commerce intérieur, à défaut de pouvoir les éliminer. La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante est revenue sur le sujet dans une lettre envoyée récemment à tous les premiers ministres de la fédération. « C’est incompréhensible qu’il soit encore plus facile pour les PME canadiennes de faire des affaires à l’étranger ou de l’autre côté de la frontière que dans leur propre pays. »

On parle d’obstacles naturels (caractéristiques géographiques, distance et configuration des frontières), prohibitifs (lois provinciales et territoriales), réglementaires et administratifs (permis, licences et autres exigences administratives) et techniques (réglementation et normes sectorielles).

Certes, des améliorations ont été apportées à l’intégration régionale, mais le problème redevient d’actualité. Selon les estimations retenues dans un document de travail publié par le FMI en juillet 2019, le coût moyen des barrières non géographiques en date de 2015 équivalait à des tarifs douaniers d’environ 20 %. Leur élimination et une libéralisation complète du commerce intérieur de biens entre les provinces élèveraient le commerce intérieur (en volume) au niveau du commerce international et le PIB réel par habitant augmenterait de 4 %, conclut-il.

Ne pourrait-on pas y puiser également quelque chose ?

Un commerce international en forte progression

Le FMI a publié en juillet 2019 un document de travail qui évaluait les coûts de ces barrières commerciales intérieures au Canada. Il est rappelé que le commerce international a progressé rapidement sous l’action de la multiplication des accords de libre-échange conclus par Ottawa. Au début des années 1980, le poids des exportations et des importations en proportion du PIB canadien était le même que celui du commerce intérieur, soit environ 55 %. Au cours des dix années suivantes, celui du commerce international est passé à plus de 80 %, alors que celui du commerce interprovincial tombait autour de 40 % sous le coup de la signature de l’Accord de libre-échange canado-américain en 1988, puis d’une extension au Mexique sous l’ALENA, entré en vigueur en 1994. Le poids du commerce international était, certes, revenu à 65 % (en 2017) en écho à la bulle des valeurs technologiques, mais pour demeurer 25 points de pourcentage plus élevé que celui du commerce interprovincial.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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