«Arrange-toi pour ne jamais être seule avec cette personne-là»

« Arrange-toi pour ne jamais être seule avec cette personne-là. » Voilà comment la productrice et chanteuse Elizabeth Provencher, du populaire duo musical Bet.e & Stef, soutient s’être fait mettre en garde contre Gilbert Rozon.
C’est la belle-sœur du magnat de l’humour, Martine Roy, qui l’a prévenue de cette façon, a-t-elle rapporté au procès civil de l’homme, accusé d’agressions sexuelles par neuf femmes qui lui réclament au total 14 millions en dommages. L’ex-producteur de 70 ans nie ce qu’on lui reproche.
Elizabeth Provencher est amie avec Martine Roy depuis très longtemps. « On est amies pour la vie », a-t-elle déclaré lundi dans le cadre du procès qui se déroule au palais de justice de Montréal.
Mme Roy est l’une des demanderesses dans cette affaire : elle a déjà rendu son témoignage au procès, lors duquel elle a affirmé que Gilbert Rozon l’a violée en 1995 dans une loge du Musée Juste pour rire, alors qu’il était le conjoint de sa sœur.
La première fois que son amie Martine lui a parlé de Gilbert Rozon, c’était pour la mettre en garde, a relaté lundi Mme Provencher. Se faire dire de se tenir loin d’un homme, les femmes savent très bien ce que cela veut dire, souligne-t-elle : « qu’on va être en danger, que c’est un prédateur. » Ce genre de discussion revenait souvent parce que Martine était appelée à le croiser lors de réunions de famille, puisque c’était le conjoint de sa sœur.
« C’était évident que c’était très douloureux pour elle », a rapporté Mme Provencher : elle appréhendait les réunions de famille, « ça la perturbait ».
L’épouse de Martine Roy est ensuite venue témoigner. Jessica Paul se rappelle qu’avant de rencontrer Gilbert Rozon pour la première fois, à l’occasion d’un souper de Noël familial chez lui en 2013, sa conjointe lui a dit de faire très attention et de ne jamais être seule avec lui. Elle lui a demandé pourquoi et celle-ci est devenue émotive, « d’une façon qu’elle n’avait jamais vue auparavant », se rappelle Mme Paul, qui a témoigné en anglais. Elle a dit qu’il avait « franchi une ligne » avec elle, mais n’avait pas donné plus de détails à ce moment.
Martine Roy est allée rencontrer les policiers en 2017, après que les premières accusations contre Gilbert Rozon ont été révélées aux nouvelles, par un reportage des journalistes du Devoir et du 98,5 FM. Le soir même de sa déclaration aux policiers, Mme Paul rapporte que son épouse lui a finalement raconté ce qui est arrivé : elle était très émotive, bouleversée, et elle avait peur, se souvient la femme. Elle a ajouté qu’à l’époque, elle avait eu peur d’être tombée enceinte et d’avoir l’herpès. Mais qu’elle n’avait pas dit aux policiers qu’elle avait été violée. Elles en ont discuté et sa conjointe a rappelé les policiers pour compléter sa dénonciation, a poursuivi le témoin.
Cet événement l’a brisée et elle a ressenti beaucoup de douleur et d’anxiété, car elle perdait en quelque sorte sa famille, a déclaré Mme Paul : elle a perdu ses neveux, son filleul qu’elle adorait et sa sœur.
Ce type de témoignage a divers objectifs dans le cadre d’un procès : ils servent à étayer les conséquences négatives vécues par les demanderesses — telles qu’elles ont été observées par leurs proches —, mais à aussi à « corroborer » leurs versions, notamment afin de démontrer que ce ne sont pas que des histoires inventées après coup, car les témoins ont reçu les confidences de façon contemporaine aux agressions présumées.
L’autrice et scénariste Sylvie Payette est aussi venue témoigner lundi, appelée à la barre par les avocats des demanderesses. Elle est amie avec la demanderesse Patricia Tulasne depuis des années, soit depuis l’émission de télévision Bonjour Docteur, diffusée de 1987 à 1989 : elle était maquilleuse à cette époque et Mme Tulasne y tenait un rôle principal.
Mme Payette a relaté ce matin d’août 1994 quand son amie Patricia a débarqué chez elle à 8 h. Elle lui a raconté que Gilbert Rozon l’avait agressée sexuellement la veille — ce que Mme Tulasne a elle-même relaté lors de l’actuel procès. Elle lui a dit de n’en parler à personne, car il pouvait « briser sa carrière », rapporte le témoin. Après, son amie s’est éloignée des gens, s’est isolée et son « moteur s’est éteint », a décrit Mme Payette.
Le procès a débuté le 9 décembre et est prévu pour au moins trois mois.