L’ancien manoir du poète Hector de Saint-Denys Garneau en vente pour 2,8 millions

La rénovation du manoir de l’ancienne seigneurie de Fossambault, qu’on voit ici en 1975, a transformé ce qui était autrefois une habitation rustique en demeure luxueuse.
Photo: Fonds Ministère des Communications La rénovation du manoir de l’ancienne seigneurie de Fossambault, qu’on voit ici en 1975, a transformé ce qui était autrefois une habitation rustique en demeure luxueuse.

L’ancien domaine du manoir Juchereau-Duchesnay, où le poète Hector de Saint-Denys Garneau (1912-1943) a passé les dernières années de sa vie, est en vente pour 2,8 millions de dollars. Il s’agit de l’« une des rares seigneuries complètes sur le marché québécois », annonce fièrement le courtier immobilier responsable de la vente du terrain de 23 hectares situé à Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier, à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de Québec.

Le manoir en pierres de granit rose a été érigé en 1848. Sa silhouette massive est somme toute modeste si on la compare aux résidences seigneuriales construites à la même époque comme le manoir des Papineau, à Montebello, ou celui des Campbell, à Rouville. « On a davantage affaire à une grande maison rurale, explique l’historien Benoît Grenier, de l’Université de Sherbrooke. Il s’agit d’une maison “québécoise” classique qui n’emprunte pas aux formes et aux styles à la mode du temps. »

La rénovation du manoir de l’ancienne seigneurie de Fossambault a transformé ce qui était autrefois une habitation rustique en demeure luxueuse. « C’était impossible à chauffer, relate le biographe d’Hector de Saint-Denys Garneau, Michel Biron. Le manoir était prestigieux, mais plus ou moins confortable. Il était toutefois magnifique avec ses grands pins et la rivière qui coule juste derrière. »

Vie monastique

Hector de Saint-Denys Garneau a passé la plus grande partie de son enfance à l’ombre du manoir, au milieu des élevages de lapins de son père, qui se la jouait « gentleman-farmer ». Le poète montréalais y a ensuite séjourné de façon épisodique avant de s’y installer définitivement en 1940, à l’âge de 28 ans.

Le retour à la terre du jeune homme souffrant d’une lésion au cœur survient trois ans après l’échec de son unique recueil de poésie, paru en 1937. De Saint-Denys Garneau y mène une vie monacale, loin de l’effervescence de Montréal et de Québec. « À la toute fin, ses parents ont décidé de le rejoindre parce qu’ils étaient inquiets pour sa santé mentale… Il avait des tendances suicidaires », explique Michel Biron.

Photo: Domaine public Le poète Hector de Saint-Denys Garneau

La période est tout de même heureuse pour l’adepte de plein air, qui pratique notamment le canot, le ski et la marche en forêt. « Il n’était pas prostré ! Il faisait des petits projets autour de la maison, même si ça aboutissait rarement à quelque chose de concret, c’étaient des envolées, des lubies. »

L’isolement du poète s’accélère au tournant de la trentaine. « Il a cessé d’écrire à ses amis et à la fin, il leur a demandé de ne plus venir le voir, relate Michel Biron. Il lui arrivait de dormir sur une petite île située au milieu de la rivière Jacques-Cartier quand il y avait de la visite au manoir, pour être encore plus isolé. » Le misanthrope est d’ailleurs décédé d’une crise cardiaque au retour de ce refuge insulaire, en 1943, après avoir ramé à contre-courant. Son corps a été retrouvé le lendemain par une écolière, à l’embouchure d’un ruisseau coulant à trois kilomètres seulement du manoir.

Nostalgie

Le domaine seigneurial de Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier a nourri l’imaginaire d’Anne Hébert (1916-2000), la petite-cousine d’Hector de Saint-Denys Garneau, qui passait la belle saison au chalet familial des Hébert, situé non loin de là. « Elle avait une proximité géographique, mentale, je dirais même fantasmagorique avec les lieux », explique sa biographe, Marie-Andrée Lamontagne.

La romancière établie à Paris au milieu des années 1960 va garder un souvenir vif des soirées passées à jouer aux cartes sur la véranda du manoir. En 1973, elle va d’ailleurs envisager un moment l’achat de l’ancienne propriété familiale en pigeant dans les recettes de son roman à succès Kamouraska paru trois ans plus tôt. L’opération devait être financée en ouvrant le site aux touristes.

« Vous imaginez Anne Hébert en guide touristique, c’est impensable ! s’exclame Mme Lamontagne. Elle serait devenue une bête curieuse que les gens viennent voir. C’était un rêve et elle y a renoncé rapidement. » La dimension du manoir a également amené la romancière à passer son tour. « Je mourrais de peur toute seule là-dedans et cela risquerait de me déprimer », écrit Anne Hébert en 1973.

Patrimoine

La seigneurie de Fossambault, qui entourait autrefois le manoir Juchereau-Duchesnay a été concédée par Louis XIV en 1693. Il a toutefois fallu attendre jusqu’au début du XIXe siècle pour que ce territoire forestier situé dans l’arrière-pays montagneux de Québec soit mis en valeur par des colons d’origine irlandaise.

Le manoir a été érigé à la toute fin du régime seigneurial, qui est officiellement aboli en 1854. Il ne s’agit pas d’un cas unique, comme le rappelle l’historien Benoît Grenier. « Un grand nombre de manoirs ont été construits à cette période, dit-il. Ils témoignent assurément de la continuité du mode de vie seigneurial par-delà l’abolition. »

En 2014, le site du manoir a été cité par la Municipalité de Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier, qui doit ainsi en assurer la protection. En plus de la résidence, l’ancien domaine qui a été mis en vente comprend un séchoir à grains, une érablière et les ruines d’un moulin banal.

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