Des tarifs inefficaces, mais populaires auprès des Américains

Les électeurs du Midwest, de la région des Grands Lacs et du sud des États-Unis qui ont été les plus affectés par les effets perturbateurs des tarifs douaniers ont plutôt eu tendance ensuite à augmenter leur appui à Donald Trump et à ses candidats.
Photo: Roberto Schmidt Agence France-Presse Les électeurs du Midwest, de la région des Grands Lacs et du sud des États-Unis qui ont été les plus affectés par les effets perturbateurs des tarifs douaniers ont plutôt eu tendance ensuite à augmenter leur appui à Donald Trump et à ses candidats.

Les tarifs de Donald Trump coûteront cher, notamment aux entreprises et aux ménages américains. Mais cela n’empêchera peut-être pas ces derniers d’appuyer leur président.

Le monde économique est entré dans un tourbillon à la fois étourdissant et terrifiant depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau président américain, il y a moins de quatre semaines. Les entreprises, les gouvernements, les populations et les experts de la planète essaient tant bien que mal de ne pas perdre le fil des annonces émanant de la Maison-Blanche et d’en comprendre ne serait-ce que la nature et les intentions exactes.

« Des menaces tarifaires constantes, mais désordonnées […] créent une incertitude persistante », ont constaté jeudi les économistes du Mouvement Desjardins. Ces derniers se sont dits forcés de revoir sans plus attendre leurs prévisions économiques afin de tenir compte entre autres du fait que « les tarifs douaniers américains et les mesures réciproques stimuleront l’inflation et freineront la croissance au Canada ».

Mais il n’y a pas qu’au Canada, au Mexique, en Chine et dans tous les autres pays directement visés par les menaces tarifaires de Donald Trump qu’on se prépare à subir un choc économique et commercial. Aux États-Unis aussi.

Après avoir promis durant les élections d’imposer à tout le monde des tarifs douaniers supplémentaires de 10 à 20 %, exception faite de la Chine, qui aurait droit à de nouveaux tarifs d’au moins 60 %, le nouveau président a commencé par menacer ses voisins immédiats d’un tarif de 10 % sur l’énergie canadienne et de 25 % sur tout le reste que son pays achète au Canada et au Mexique.

Il a poursuivi sur son élan cette semaine en annonçant la levée prochaine de l’ensemble des exemptions accordées, notamment au Canada, sur ses tarifs de 2018 dans l’acier et l’aluminium, et en a profité pour remonter ceux de l’aluminium (10 %) au même niveau que l’acier (25 %).

Il en a rajouté une couche jeudi en dévoilant un projet de « tarifs réciproques » censés servir une riposte « personnalisée » à chaque pays contre ses barrières tarifaires, mais aussi contre ses barrières non tarifaires. On pense évidemment à la taxe sur les géants du numérique, mais on viserait aussi les pays les plus pauvres et même les taxes à la consommation sur la valeur ajoutée (comme la TPS au Canada). Il ne serait pas étonnant qu’on s’en prenne aussi à des réglementations (environnementales, sanitaires…) qui seraient plus sévères que celles qui existent aux États-Unis, ou qui sont seulement différentes. Et comme s’il ne savait plus comment s’arrêter, Donald Trump a mentionné, en fin de journée vendredi, qu’il avait aussi l’intention d’imposer de nouveaux tarifs sur les voitures importées à compter du 2 avril, sans en dire plus sur leurs cibles précises, leur niveau ou leur raison d’être.

Inefficaces

Pour ce qu’on en comprend, l’affection de Donald Trump pour les tarifs douaniers tient à trois vertus qu’il leur prête. La première serait de servir de moyen de pression pour obtenir des concessions des autres pays dans n’importe quel domaine et les forcer, entre autres, à acheter plus d’exportations américaines. La deuxième serait de redonner aux États-Unis sa grandeur manufacturière d’antan. La dernière serait d’enrichir le Trésor public sur le dos des compagnies étrangères.

Or, la science économique et l’expérience passée nous enseignent que rien de tout cela ne fonctionne.

Pour prendre le cas des tarifs qui ont été appliqués en tout ou en partie sur l’acier et l’aluminium depuis 2018, ils ont surtout permis aux entreprises américaines du secteur d’augmenter leurs prix sans créer tellement plus de nouveaux emplois, et de rendre ces matières premières plus chères pour toutes les entreprises manufacturières qui en avaient besoin. Loin d’aider la cause américaine, ces coûts supplémentaires ont été largement transférés aux consommateurs aux États-Unis en même temps qu’ils plombaient les ventes des exportateurs américains à l’étranger.

Selon le Peterson Institute for International Economics, ces tarifs ont permis aux industries américaines de l’acier d’augmenter leurs revenus de 2,4 milliards $US en 2018, mais ils se sont également traduits par une hausse du prix de l’acier de plus du double (5,4 milliards). Comme cela aurait permis la création d’environ 8700 nouveaux emplois dans l’industrie de l’acier, on peut dire qu’il en a coûté 650 000 $ par emploi créé. Il faut toutefois ajouter que cela s’est aussi fait au prix de la perte de 75 000 emplois dans le secteur manufacturier, selon une estimation.

Au même moment, chaque augmentation de 1 point de pourcentage de ses tarifs sur l’acier et l’aluminium faisait reculer les exportations des États-Unis de 0,11 %, rapportait la Tax Foundation dans un bilan ce printemps.

Chez Ford, ces tarifs avaient coûté l’équivalent de 700 $ par véhicule la première année, avant que le Canada et le Mexique en soient exemptés. Étroitement intégrée dans des chaînes d’approvisionnement qui traversent sans cesse les frontières nord-américaines, l’industrie de l’auto envisage aujourd’hui avec horreur la perspective de tarifs et de contre-tarifs qui pourraient s’additionner avec chaque va-et-vient d’un pays à l’autre. « Pour le moment, on voit beaucoup de nouveaux coûts et beaucoup de chaos », déclarait déjà mardi le patron de Ford, Jim Farley.

Toutes ces estimations ne tiennent pas compte des représailles commerciales que s’attirent chaque fois de tels tarifs. Comme les contre-tarifs visent généralement des régions et des industries particulièrement chères au cœur des gouvernements en cause, ils viennent toucher des entreprises et des travailleurs qui n’étaient pas nécessairement concernés par les premiers tarifs.

Et si le simple climat d’incertitude semé par une menace de tarifs et de contre-tarifs est suffisant pour plomber l’économie, la levée de ces mesures une fois la paix commerciale revenue n’en efface pas non plus les effets délétères immédiatement.

Hausse nette d’impôts

Donald Trump semble convaincu aussi d’avoir trouvé dans les tarifs douaniers une source idéale de revenus parce qu’elle taxerait des compagnies étrangères. Or, la première mouture de ses tarifs sur l’acier et l’aluminium lui rapporte actuellement seulement 2,7 milliards par an, essentiellement prélevés dans les poches des entreprises et des ménages américains, constate la Tax Foundation.

Son projet de tarifs sur l’ensemble des importations du Canada et du Mexique ajouterait à ce montant au moins 83 milliards par année. Le coût de ce tarif ainsi que celui de 10 % qu’il vient d’ajouter sur les importations chinoises (23 milliards de recettes) se traduirait par une facture de 1200 $ par année pour un ménage américain moyen, estime le Peterson Institute.

Ces Américains moyens en sortiraient perdants même si, en échange, Donald Trump obtenait du Congrès américain la reconduction de ses baisses d’impôt adoptées lors de son premier mandat. La perte nette de richesse serait de plus en plus lourde à mesure qu’on descendrait dans l’échelle des revenus, alors que les plus riches pourraient en sortir légèrement gagnants.

Populaire malgré tout

Devant tous ces résultats négatifs, on pourrait croire que les Américains qui ont été directement exposés aux effets des premières guerres commerciales de Donald Trump en ont généralement gardé une mauvaise impression.

Mais cela n’a pas été le cas jusqu’à présent, a constaté l’an dernier une étude publiée par le Bureau national de recherche économique. En effet, à l’exception, par exemple, des régions productrices d’oranges qui ont été les plus durement touchées par les contre-tarifs, les électeurs du Midwest, de la région des Grands Lacs et du sud des États-Unis qui ont été les plus affectés par les effets perturbateurs des tarifs douaniers ont, au contraire, plutôt eu tendance ensuite à augmenter leur appui à Donald Trump et à ses candidats.

Cette popularité tiendrait entre autres au fait que les impacts négatifs de leurs politiques commerciales sont trop diffus pour qu’on fasse le lien. On semble également surtout retenir que Donald Trump se porte ainsi à la défense des entreprises et des travailleurs américains contre l’étranger.

Reste maintenant à voir si cette opinion changera avec la multiplication de ces tarifs et la nouvelle sensibilité des Américains envers l’inflation.

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