Des médias traditionnels plus facilement asservis par Donald Trump

Donald Trump répondait aux questions des journalistes le 30 janvier après l’écrasement aérien survenu à Washington.
Photo: Roberto Schmidt Agence France-Presse Donald Trump répondait aux questions des journalistes le 30 janvier après l’écrasement aérien survenu à Washington.

Jeudi dernier, le président américain, Donald Trump, a appelé à rien de moins que la mort de l’émission d’information 60 minutes, diffusée depuis 1968 sur les ondes du réseau CBS. Selon le populiste, le magazine télévisé, un des plus populaires et surtout l’un des plus lucratifs du réseau, devrait être retiré des ondes, en raison du parti pris en faveur de l’ex-candidate démocrate Kamala Harris dont il aurait fait preuve durant la campagne électorale de 2024.

« CBS et 60 Minutes ont trompé le public en faisant quelque chose qui n’avait jamais été vu auparavant », a écrit le populiste sur son réseau social. « Ils ont supprimé 100 % des horribles réponses de Kamala aux questions pour les remplacer par des réponses complètement différentes et bien meilleures, tirées d’une autre partie de l’entrevue. » La chose est contestée par le producteur de l’émission, qui souligne n’avoir rien fait de plus qu’un travail d’édition normal de l’entretien pour en assurer la clarté et la concision.

N’empêche, Donald Trump poursuit depuis des mois CBS, lui réclamant 10 milliards de dollars. Il accuse le réseau d’avoir commis « des actes partisans et illégaux d’interférence électorale par des distorsions malveillantes, trompeuses et substantielles de l’information ». Et même si la poursuite a été qualifiée par le juriste Richard Tobin, spécialiste de la liberté d’expression, de « tentative frivole et dangereuse de la part d’un homme politique pour contrôler les médias », CBS serait en train de songer à un arrangement à l’amiable avec le nouvel occupant du Bureau ovale, révélait la semaine dernière le réseau public américain NPR.

Céder aux attaques et à l’intimidation persistante du président américain : le comportement semble désormais dépasser le stade de l’anecdote et du phénomène isolé dans le monde des médias aux États-Unis, plus de 20 jours après le retour en force du républicain à la Maison-Blanche. Et ce, dans un climat de défiance et de dénigrement permanent des journalistes, nourri depuis 2016 par le républicain, et qui s’est renforcé avec son retour au pouvoir.

Ne cédez pas aux mensonges. Ne cédez pas à la peur. Accrochez-vous à la vérité, à l’espoir.

« Il semble que nous soyons en train de renouer aux États-Unis avec une ère d’attaques de la presse par des politiciens puissants et d’autres personnalités publiques, ce qui est certainement un trait caractéristique de l’autoritarisme », résume depuis Baton Rouge Ruth Moon, professeure de communication à l’Université d’État de la Louisiane et spécialiste des médias évoluant sous des régimes autoritaires. « Les propos du président donnent le ton à l’opinion publique et influencent le sentiment d’insécurité ou de vulnérabilité des journalistes dans l’exercice de leur travail. »

« Ces sentiments sont très puissants pour façonner les comportements », ajoute-t-elle. Et les conséquences se mesurent désormais en perte et fracas dans le monde des médias, y compris au sein de ceux s’étant montrés les plus critiques face au populiste durant son premier mandat, comme CNN, où le journaliste de l’émission phare Newsroom Jim Acosta a tiré sa révérence le 28 janvier dernier.

Après 18 ans de service, le réseau voulait reléguer celui que l’on surnommait « la bête noire de Trump », « l’antagoniste de la Maison-Blanche » à une case horaire tardive. Un geste perçu autant comme une rétrogradation qu’un message clair adressé au nouveau président qui, sur son réseau social, s’est immédiatement réjoui de ce départ. « Wow, super nouvelle ! » a-t-il écrit.

« En tant que fils d’un réfugié cubain, j’ai retenu la leçon : il n’est jamais bon de se prosterner devant un tyran. J’ai toujours cru que c’est le devoir de la presse de demander des comptes au pouvoir politique. J’ai toujours essayé de le faire à CNN, et je compte bien continuer à faire de même ailleurs », a dit Jim Acosta dans son message d’adieu. Et il a ajouté : « Ne cédez pas aux mensonges. Ne cédez pas à la peur. Accrochez-vous à la vérité, à l’espoir. »

Censure et reconfiguration

Quelques jours plus tôt, la caricaturiste du Washington Post, lauréate du prix Pulitzer, Ann Telnaes, a démissionné, après qu’un de ses dessins a été censuré par la direction du journal, propriété de l’oligarque Jeff Bezos, fondateur d’Amazon. L’homme y était représenté, au milieu de plusieurs figures fortes du monde économique américain, se prosternant devant Donald Trump. La critique faisait suite à la visite de plusieurs d’entre eux à Mar-a-Lago, avant Noël, et à leurs contributions de plusieurs millions de dollars annoncées pour soutenir la journée d’investiture du nouveau président.

Après avoir empêché son journal de se prononcer pour un des deux candidats à la présidence, en novembre dernier — le Washington Post aurait très certainement penché pour Kamala Harris —, Jeff Bezos a amorcé également en coulisse un changement de ton de son quotidien qui vient, en interne, d’adopter un nouveau slogan : « Riveting storytelling for all of America » (« Des récits fascinants pour toute l’Amérique »). À l’arrivée du populiste à Washington en 2016, le Post s’était placé en résistant en annonçant sur sa une : « Democracy Dies in Darkness » (« La démocratie meurt dans la noirceur »). L’affirmation est toujours inscrite sur la première page du quotidien, mais jusqu’à quand ?

« Nous sommes dans un contexte d’autoritarisme rampant, commente en entrevue Bradford Vivian, spécialiste des médias et de la liberté de presse à l’Université d’État de la Pennsylvanie. Il existe de nombreuses preuves démontrant que le nouveau gouvernement Trump et les réseaux politiques qui le soutiennent souhaitent établir un contrôle étatique plus strict sur la presse libre tout en trouvant de nouvelles façons de censurer les institutions civiques. »

La semaine dernière, lors du National Prayer Breakfast, Donald Trump a maintenu ses menaces de sanctions sur les médias en laissant entendre que les abonnements institutionnels de plusieurs agences du gouvernement à plusieurs grandes publications relevaient d’une « fraude » orchestrée par les démocrates pour s’assurer d’une couverture complaisante à leur endroit.

Au début du mois, son nouveau gouvernement a également accéléré sa reconfiguration du paysage médiatique en faveur de médias plus serviles envers le nouveau régime, et ce, en expulsant des espaces destinés aux médias au sein du Pentagone le New York Times, NBC News, NPR et Politico. Ces médias suivaient pourtant les changements de couleur politique à Washington, sans crainte de perdre leur avant-poste dans le bâtiment du département de la Défense.

Ils vont être remplacés, entre autres, par One America News et Breitbart News, deux médias ultraconservateurs, vecteurs incontestés de la propagande du trumpisme.

« Le président, les membres de son gouvernement et ses partisans prônent depuis des années des lois plus strictes sur la diffamation contre la presse, de la violence aveugle contre les journalistes et même des peines de prison pour les reporters, résume Bradford Vivian. Dès son entrée en fonction, le nouveau gouvernement a lancé une vaste campagne de censure, notamment en supprimant des informations relevant de la santé publique des sites Web fédéraux, en interdisant des listes de mots et des références historiques dans les bureaux fédéraux et en ordonnant des bâillons à certains fonctionnaires fédéraux pour les empêcher de parler de leur travail au public. Ces mesures ne sont pas seulement de la censure pure et simple ; elles visent aussi à créer un climat général de peur et d’autocensure qui s’est installé avec une rapidité et un degré alarmants », conclut-il.

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