Âmes sensibles, ne pas s’abstenir
Je ne m’habituerai jamais aux « métros remplis de noyés » (mots empruntés à la chanson Voir un ami pleurer, de Jacques Brel). Il fallait voir tous ces corps échoués, hier soir, à la station de métro Place-des-Arts, alors que je sortais d’un spectacle qui avait transcendé la réalité pendant près de deux heures (privilège de bien nanti, je sais, en comparaison de celles et ceux qui doivent composer chaque jour — et surtout chaque nuit — avec leurs conditions de sous-humains).
Je ne m’habituerai jamais aux déflagrations verbales d’une ex-vedette de télé-réalité devenue président, semblant tout droit sortie d’un opéra rock à la Starmania, rêvant tout haut de déporter un peuple (déjà humilié, mille fois déplacé, affamé et épuisé) sans égard au droit international, pour bâtir sur ses terres une station balnéaire « de rêve » (« la Riviera du Moyen-Orient »). Je ne m’habituerai jamais à ce nouveau « king » flanqué d’un premier ministre israélien prosterné et tout sourire qui n’a pas plus de crédibilité, lui-même responsable d’avoir mis la table pour ce projet mégalomane après avoir détruit Gaza, éliminé 47 000 Palestiniennes et bafoué l’âme de tout un peuple. Je ne m’habituerai jamais au nettoyage ethnique que pareille folie suppose, pas plus que je ne m’habituerai un jour — beaucoup plus près d’ici — aux propos anti-immigration qui infiltrent subrepticement (mais de façon toujours plus décomplexée) le discours de nos dirigeants les plus modérés.
Si le cinéaste Denys Arcand avait imaginé un jour le scénario qui défile présentement sous nos yeux pour un de ses films, on l’aurait sans doute traité de fou ou descendu en flammes. L’idée même qu’autant d’ignominies déferlent dans la plus grande banalité doit faire se retourner dans leur tombe bien des Jimmy Carter ou René Lévesque de l’histoire. Face à notre monde qui se délite (au fil de décrets signés au gros crayon-feutre et exhibés à la face d’une planète de plus en plus commanditée par Tesla), c’est l’indifférence qui nous guette. Ou, pour les plus vulnérables, le mortifère sentiment d’impuissance.
Il nous incombe de ne pas nous laisser broyer. De nous tenir debout envers et contre tout. D’user de nos sensibilités pour ne jamais cesser de dire, de dénoncer et de surligner ce qui, à nos yeux de chevreuil sur des routes toujours plus improbables, ne fait et ne fera jamais sens. Vivement les doux, les forts en gueule et les casse-pieds. Vivement l’art, la culture, les poètes, les écrivains, les écriveux et les écriveuses, la poignée d’artistes connus ou les millions d’anonymes. Comme disait Gérald Godin, « la question n’est pas de savoir ce que les poètes font en politique, mais bien plutôt ce que la politique fait aux poètes… »