Amazon Canada ferme ses sept entrepôts au Québec

Un entrepôt Amazon à Montréal photographié en 2022
Photo: Ryan Remiorz Archives La Presse canadienne Un entrepôt Amazon à Montréal photographié en 2022

Amazon Canada fermera ses sites au Québec, laissant sans emploi plus de 1700 personnes. Le géant américain du commerce en ligne compte revenir à son modèle d’affaires de 2020 et confier à nouveau la livraison des colis à des sous-traitants. Une décision qu’il est difficile de ne pas lier à la récente syndicalisation de l’entrepôt de la multinationale situé à Laval, selon plusieurs.

L’entreprise l’a annoncé sans crier gare à ses partenaires de livraison, ainsi qu’à la Confédération des syndicats nationaux (CSN), mercredi matin. Dans les deux prochains mois, Amazon fermera un à un ses sept sites québécois, c’est-à-dire son centre de distribution, ses centres de tri et ses centres de livraison situés à Longueuil, Lachine, Laval et Coteau-du-Lac.

« À la suite d’un récent examen de nos activités au Québec, nous avons constaté que le retour à un modèle de livraison par des tiers, soutenu par de petites entreprises locales, semblable à celui que nous avions jusqu’en 2020, nous permettra d’offrir le même excellent service et de faire réaliser encore plus d’économies à nos clients à long terme », a indiqué par courriel la porte-parole de l’entreprise, Barbara Agrait.

En tout, plus de 1700 employés permanents, à temps plein et à temps partiel, perdront donc leur emploi. Environ 250 employés temporaires connaîtront le même sort une fois leur contrat arrivé à échéance.

Une décision « antisyndicale » ?

« C’est tellement horrible de te réveiller un matin et de te faire dire que ton entreprise ferme, que tu perds ton emploi », a confié Mossa Ali Nahar au Devoir quelques minutes après avoir été informé de la nouvelle par un collègue. Cela faisait neuf mois qu’il travaillait à l’entrepôt d’Amazon de Laval, le seul au Canada qui était syndiqué.

À son avis, la décision de la multinationale de quitter la province est plutôt motivée par ce récent mouvement de syndicalisation. « C’est la première chose que je me suis dite. Ils ne veulent pas qu’on fasse valoir nos droits, ils ne veulent pas augmenter nos salaires et nos conditions », poursuit l’employé. Si la nouvelle est difficile à encaisser, il dit rester positif et il garde espoir de se trouver rapidement un autre emploi.

D’autres employés contactés par Le Devoir ont refusé nos demandes d’entrevue, se disant complètement sous le choc et inquiets pour leur avenir.

La présidente de la CSN, Caroline Senneville, refuse aussi d’avaler la raison invoquée par la multinationale, estimant que cette réorganisation du travail n’a aucun sens, tant sur le plan des affaires que sur le plan opérationnel. « Amazon a tout fait pour empêcher la syndicalisation de ses employés : campagne de peur, messages antisyndicaux, contestation du Code du travail, congédiements déguisés… Et aujourd’hui, on apprend que la multinationale préfère se retirer du Québec plutôt que de respecter son obligation à s’entendre sur une convention collective ? C’est totalement inacceptable », s’est-elle offusquée par voie de communiqué.

Photo: Marie-France Coallier Archives Le Devoir Le centre de distribution d’Amazon à Coteau-du-Lac

Les experts consultés par Le Devoir ont aussi du mal à ne pas y voir un lien direct. « C’est reconnu qu’Amazon a des pratiques antisyndicales au Québec. Il y a eu une décision en ce sens du Tribunal administratif du travail », souligne Mélanie Laroche, professeure à l’Université de Montréal et spécialiste des questions syndicales.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’une multinationale ferme soudainement son entreprise en réaction à un mouvement de syndicalisation. « Par ce genre de pratiques, les employeurs veulent éviter un effet de contagion ou d’entraînement. […] La fermeture vise à refroidir les ardeurs syndicales des employés dans d’autres sites », explique Patrice Jalette, professeur de relations industrielles à l’Université de Montréal.

Là où Amazon se distingue, toutefois, c’est dans sa décision de fermer l’entièreté de ses sites sur le territoire québécois. « Walmart avait fermé sa succursale de Jonquière [en 2005] dans la foulée de la création d’un syndicat, mais pas ses autres magasins. Couche-Tard pareil. »

Pour sa part, Amazon Canada insiste : il n’y a aucun lien de cause à effet avec la syndicalisation des employés de l’entrepôt de Laval. Elle ajoute par ailleurs que le personnel licencié aura droit à « des avantages transitoires, comme des ressources externes de relocalisation en emploi » et une indemnité pouvant aller jusqu’à 14 semaines de salaire.

Vives réactions de la classe politique

« Mes pensées vont aux travailleurs et à leurs familles qui sont touchés par cette triste nouvelle », a déclaré la ministre de l’Emploi, Kateri Champagne Jourdain, mercredi matin en apprenant la nouvelle en même temps que les médias.

Elle a indiqué ne pas avoir encore reçu d’avis de licenciement collectif de la part d’Amazon. Quand ce sera le cas, le gouvernement mettra en place « un comité d’aide au reclassement pour soutenir les travailleurs qui voudraient se rediriger vers un autre secteur, trouver un emploi ou obtenir de la formation ».

Ni la ministre de l’Emploi ni le ministre du Travail, Jean Boulet, ne se sont avancés pour faire un lien direct entre le départ d’Amazon et la syndicalisation de l’entrepôt de Laval. « À ce stade-ci, on est contraints de respecter les décisions qui nous sont communiquées », a indiqué M. Boulet.

À voir aussi : François Legault a évité les questions sur la fermeture des entrepôts d’Amazon au Québec

De son côté, le premier ministre François Legault a évité le sujet en blaguant sur la victoire des Canadiens de Montréal et sur le fait qu’il n’avait pas bu de jus d’orange, faisant allusion à ses propos de la veille sur l’importance d’acheter québécois face aux menaces de tarifs douaniers du président américain, Donald Trump.

Quelques heures plus tard, il s’est repris en assurant que sa blague matinale n’était pas une réponse aux fermetures d’Amazon. Il a déclaré avoir « une pensée pour les travailleurs et les familles des travailleurs ». « Il reste qu’Amazon, c’est une compagnie privée, et c’est une décision d’affaires d’une compagnie privée », a-t-il ajouté.

Les partis d’opposition n’ont pas manqué de critiquer la réaction matinale du premier ministre. Le chef intérimaire du Parti libéral du Québec, Marc Tanguay, l’a qualifiée de « complètement déconnectée et insensible ». « François Legault déteste tellement les syndicats qu’il n’a rien à dire quand le deuxième homme le plus riche du monde s’essuie les pieds sur les travailleurs québécois », a renchéri la co-porte-parole de Québec solidaire, Ruba Ghazal.

Les deux partis n’ont pour leur part pas hésité à faire le lien entre la fermeture des sites d’Amazon et la récente syndicalisation de certains de ses employés.

De l’avis de la porte-parole libérale en matière d’emploi, Madwa-Nika Cadet, le gouvernement Legault devrait donner l’exemple et boycotter Amazon. Le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, est allé encore plus loin en soutenant que les organismes publics, les villes et les ministères devraient faire de même.

À Ottawa, le Bloc québécois et le Nouveau Parti démocratique ont aussi critiqué la décision d’Amazon et envoyé leurs pensées aux employés qui se retrouvent sans emploi.

« J’ai parlé au dirigeant d’Amazon Canada. Je lui ai fait part de notre déception et de notre frustration en apprenant qu’Amazon avait l’intention de licencier 1700 employés et de fermer ses sept entrepôts au Québec. Ce n’est pas comme ça qu’on fait des affaires au Canada », a clamé sur le réseau X le ministre canadien de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne.

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