L’album classique qui a tout remporté aux Grammy

La compositrice mexicaine Gabriela Ortiz
Photo: Mara Arteaga La compositrice mexicaine Gabriela Ortiz

Même les médias généralistes ici ont évoqué le cinquième prix Grammy de Yannick Nézet-Séguin, pour la bande sonore du film Maestro, de Bradley Cooper. Mais ce succès, hors de la section « classique », devrait être éclipsé par la razzia hors normes effectuée par un seul album, dont peu avaient entendu parler : Revolución diamantina de la compositrice mexicaine Gabriela Ortiz, parution du Philharmonique de Los Angeles et Gustavo Dudamel, qui a glané trois trophées. De quoi s’agit-il et qu’est-ce qui explique ce succès ?

Des paillettes roses reflètent les rayons du soleil en ce jour du mois d’août 2019 à Mexico. Des milliers de femmes sont dans la rue pour protester contre la violence sexiste dans leur pays. L’événement déclencheur est le viol d’une jeune fille de 17 ans par quatre policiers en patrouille à Mexico. Le slogan « No nos cuidan, nos violan » (« Ils ne nous protègent pas, ils nous violent ») est lancé en même temps que les paillettes à l’encontre des policiers et des soldats, dans un pays où, à l’époque, les médias ne s’intéressent guère aux féminicides, alors que, selon l’ONU Femmes, neuf femmes en moyenne y meurent chaque jour de mort violente parce qu’elles sont des femmes. Des paillettes roses sont répandues dans toute la ville de Mexico, une action qualifiée par les autorités de « grave agression » et de « vandalisme ».

Quelques années plus tard, Gabriela Ortiz, compositrice mexicaine de 60 ans, fait de cette « révolution des paillettes » un ballet avec chœur de 40 minutes, Revolución diamantina. Gustavo Dudamel le dirige à Los Angeles. Le chef aime bien la musique de Gabriela Ortiz, et les divers concerts où il programme sa musique servent, en juin 2024, à constituer un album. En février 2025, c’est la consécration : Ortiz et Dudamel remportent trois Grammy. Il est rare dans l’histoire d’avoir vu un disque classique glaner trois prix d’un coup.

En toute discrétion

Cette parution numérique sur l’étiquette Platoon, passée pratiquement inaperçue, est couronnée « Meilleure performance orchestrale », décernée au chef, « Meilleur recueil classique », et « Meilleure œuvre contemporaine classique », pour le ballet avec chœur Revolución diamantina. L’album était par ailleurs en nomination dans les catégories de production et de prise de son.

Platoon, éditeur de ce document émanant du Philharmonique de Los Angeles, est lié à Apple. Nous avions découvert son existence lorsque Rafael Payare et l’Orchestre de San Diego avaient publié la 11e Symphonie de Chostakovitch en mai 2022. C’était alors la première publication classique de Platoon !

Rarement les Grammy auront été aussi utiles, puisque, même pour un chroniqueur spécialisé, il n’est pas possible de suivre des parutions numériques de labels quasi inexistants en classique. Or Gabriela Ortiz s’avère être une sorte de nouvel Osvaldo Golijov — on pense à l’héritage d’Ainadamar — de notre temps et les deux autres pièces du programme valent Revolución diamantina.

Brillant

Le ballet de 40 minutes expose la maîtrise, l’inventivité sonore et thématique quasiment sans limites (« Borders and bodies ») et, surtout, l’inspiration déjantée (mouvement « Pink glitter », qui dépeint le cœur de l’événement principal de la « révolution des paillettes ») de la compositrice, sa liberté et son sens du spectaculaire. La découverte de cette créatrice, qui échappe à toutes les modes, conventions et classifications pour conjuguer des sources a priori inconciliables en une puissance expressive surprenante, est vivement encouragée.

Car les deux autres pièces du programme ne sont pas en reste. Kautyumari est une pièce de 7 minutes 30 qui permet parfaitement de faire découvrir l’art d’orchestratrice et l’univers d’Ortiz (comme Jennifer Higdon a été révélée en 2000 par Blue Cathedral), à la fois le travail rythmique et orchestral. Altar de Cuerda est un superbe concerto pour violon joué par María Dueñas, un vrai concerto (au sens de dialogue soliste-orchestre) de 30 minutes, avec des syncopes, des rythmes tranchés, des sonorités éthérées de violon.

Et dire que la prochaine œuvre de Gabriela Ortiz sera un Concerto pour violoncelle composé pour Alisa Weilerstein, l’épouse de Rafael Payare. Elle sera certes créée à Los Angeles, mais on espère entendre cette musique, inspirée par la péninsule du Yucatán, à Montréal.

Même s’il repart avec un Grammy de plus dans sa collection, cette édition 2025 est riche d’enseignements pour Yannick Nézet-Séguin. Dans la « Section 11 : Musique classique », le chef québécois fait chou blanc. D’une part, c’est la faute à pas de chance. Avec deux nominations sur cinq (The Hours de Kevin Puts et Florencia En El Amazonas de Daniel Catán) il y avait une probabilité non négligeable qu’il remporte la catégorie « Opéra ». Le Grammy est allé à Adriana Mater, de Kaija Saariaho par Esa-Pekka Salonen. Il n’y a aucune injustice à cela.

Par ailleurs, l’album My American Story (Deutsche Grammophon) du chef québécois avec Daniil Trifonov était paru trop tard (4 octobre 2024) pour être admissible. Cela dit, comme un produit n’a plus besoin d’être édité physiquement pour concourir, et Revolución diamantina en est le parfait exemple, Yannick Nézet-Séguin aurait sans doute intérêt à lancer une ligne de parutions « symphoniques » ou « para-opératiques » numériques avec l’Orchestre du Met s’il veut multiplier ses chances.

Ortiz : Revolución diamantina

Gabriela Ortiz. Orchestre philharmonique de Los Angeles, sous la direction de Gustavo Dudamel. Disponible sur la plupart des plateformes.

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