Les airs de famille de Basia Bulat

Cinq ans après son sublime Are You In Love ? cruellement balayé sous le tapis de la pandémie, Basia Bulat ressurgit avec un nouvel album de compositions originales, Basia’s Palace. Drôle de coïncidence : c’est avec le plus pop de ses albums que l’autrice-compositrice-interprète folk se présentera pour la première fois de sa carrière à la grande rencontre de la Folk Alliance International qui commence aujourd’hui à Montréal. « Je dis à la blague que pendant ma performance, quelqu’un viendra m’interrompre en débranchant mon ampli comme on l’a fait à Bob Dylan au festival de Newport en 1965 ! » rit-elle.
Plus sérieusement, « j’apprécie beaucoup que l’on m’ait invitée, même si ce nouvel album est moins folk et acoustique que les précédents », commente l’autrice-compositrice-interprète, rencontrée dans un café au coin de la rue de son « Palace », son improbable refuge au cœur du Mile End.
Retournons cinq ans en arrière. Basia lançait, le 27 mars 2020, un album que nous vous pressons de (re) découvrir, un vrai collier de perles de chansons comme Light Years, Hall of Mirrors, l’épique Love is at the End of the World et notre favorite Already Forgiven. Injustement, l’album n’a pas eu le rayonnement qui aurait dû profiter à son autrice, alors confinée et placée comme nous sous le joug des couvre-feux.
Une tournée évaporée
Or, peu avant la sortie de l’album, elle est prête à partir à la rencontre de son public, ici, aux États-Unis et en Europe, qui la suit depuis son premier album, Oh, My Darling (2007) : « J’avais quitté mon appartement de la Petite Italie, mis tout ce que je possédais dans un entrepôt, parce que j’avais prévu de passer toute l’année sur la route ». Évaporés, les plans de tournée ; sans logis, Basia et son copain ont alors emménagé dans le studio de répétition qu’ils partageaient avec les collègues. Son nouveau « palace ».
Amère ? « Yeah, it sucked », répond-elle, échappant les rares mots en anglais de notre conversation. « En même temps, j’ai vécu tant d’expériences enrichissantes pendant la pandémie que je n’y changerais rien. » La plus importante d’entre elles : devenir maman. Fonder une famille, celle-ci devenant le thème principal qui traverse les neuf nostalgiques, mais souvent pétillantes, chansons de Basia’s Palace.
Les deux jeunes filles de Basia et d’Andrew fréquentent la garderie en français. « C’est pour ça que j’ai enregistré une version francophone de Baby, parce que c’est la chanson préférée d’une de mes filles ! À la maison, elles aiment les chansons et les comptines en français — même Let It Go (thème du film Frozen), on chante en français : “Libérée, délivrée !” » Basia chante aussi pour la première fois en polonais sur ce nouvel album : « C’est la première fois que je trouve le courage de le faire, et c’est un peu pour mes filles, puisque je suis aujourd’hui leur lien avec la culture polonaise. Je suis leur racine », comme l’ont été ses parents pour elle.
Basia a grandi à Etobicoke, en Ontario. Sa mère donnait des leçons de piano classique ; son père, col blanc, affectionnait plutôt la musique populaire polonaise, et particulièrement ce genre qui donne le titre à une chanson : Disco Polo. Comme dans : disco polonais, variante locale de l’italo disco. C’est dans Disco Polo qu’on l’entend mêler le polonais à l’anglais, citant le texte d’une des chansons préférées de son papa, Moja mała blondyneczko, du groupe Bayer Full.
Le disco polo en héritage
Son père est décédé en 2018. « Nous n’étions pas très proches, mais depuis qu’il est parti, c’est comme si je le cherchais à travers cette musique », dans laquelle elle s’est replongée, entre deux biberons, ainsi que dans les albums de l’icône de la chanson populaire polonaise Maryla Rodowicz, dont son grand-oncle raffolait.
« Pourquoi mon père était-il autant attiré par le disco polo ? s’est demandé Basia. J’ai compris que c’est parce que ça faisait partie de son expérience d’immigrant. La chanson Disco Polo, c’est un polaroïd de mes souvenirs d’enfance. Le souvenir de cet héritage culturel que la famille m’a légué, et que j’essaie de léguer à mon tour à mes filles. »
Durant ces cinq années de sédentarité, Basia Bulat a découvert que le meilleur moment pour composer était la nuit, avant que les bébés ne se réveillent. Dans son petit studio, avec son casque d’écoute, à apprendre le maniement des logiciels de composition musicale, cherchant comment créer des rythmiques sur lesquelles elle poserait sa voix et ses guitares. Dans les rythmes plus sautillants des chansons, certaines ayant conservé les pistes de percussions électroniques, on reconnaît le processus de création de Basia’s Palace.
C’est devenu un album de chansons pop « par accident. Peut-être au fond parce que j’avais envie d’avoir plus de fun ? Peut-être aussi parce que j’ai enregistré ces démos la nuit en me disant : je vais donner ça au band, on se basera là-dessus pour enregistrer l’album. Pour tous mes albums, les circonstances dans lesquelles je les ai créés ont formé leurs paysages sonore et émotionnel. »