Le racisme vu autrement

Plongé dans la tourmente pour ses propos sur le racisme à l’Assemblée nationale, le député de Québec solidaire (QS) Haroun Bouazzi a partiellement fait marche arrière à la reprise des travaux parlementaires, exprimant des regrets pour sa « maladresse » et témoignant de son « estime » pour les ministres caquistes qu’il avait éclaboussés, Lionel Carmant et Christian Dubé. Sa récente sortie, d’un profond simplisme, vient nous rappeler les vertus de la nuance pour être entendu et compris dans ces débats délicats.

Hors des cercles de la gauche absolutiste, le député Bouazzi ne s’est pas fait beaucoup d’alliés dans les derniers jours. Invité récemment à prendre la parole devant la Fondation Club Avenir, une association respectable de la communauté maghrébine de Montréal, M. Bouazzi a laissé entendre que les débats à l’Assemblée nationale favorisaient quotidiennement l’émergence de discours racistes et discriminatoires envers les minorités ethniques et religieuses. « Nous voyons malheureusement — et Dieu sait que je vois ça à l’Assemblée nationale tous les jours — la construction de cet Autre. De cet Autre qui est maghrébin, qui est musulman, qui est noir, qui est autochtone, et de sa culture qui, par définition, serait dangereuse ou inférieure », a-t-il dit.

La Fondation Club Avenir s’est dissociée de ses propos. Les députés de toutes les formations, y compris celle de M. Bouazzi, se sont déclarés blessés, heurtés et choqués par cette sortie réductrice. Le ministre responsable de la Lutte contre le racisme, Christopher Skeete, a résumé le malaise avec éloquence. « Quand on va dans nos communautés et qu’on divise au lieu de construire des ponts, je pense qu’on fait fausse route, a-t-il dit. Ce n’est pas digne de la fonction. »

L’affaire n’allait pas en rester là. La Coalition avenir Québec (CAQ), le Parti libéral du Québec (PLQ) et le Parti québécois (PQ) ont chacun présenté des motions condamnant les propos d’Haroun Bouazzi. Sa conduite relève de l’affront à l’Assemblée nationale et de l’atteinte à la dignité des députés qui se consacrent à l’avancement des intérêts de la société québécoise.

Le député de Maurice-Richard l’a cherché, d’abord par ses propos inflammatoires, ensuite par son refus de reconnaître pleinement ses torts. Ce n’est pas seulement en raison de sa sortie initiale devant la communauté maghrébine. Au micro de Tout un matin, vendredi dernier, il en a rajouté une couche en associant faussement Lionel Carmant et Christian Dubé à la construction de l’Autre « comme un danger ». Outre les amalgames, les glissements et les procès d’intention, l’entretien était empreint de fausse modestie. M. Bouazzi s’est excusé également pour sa maladresse lors de l’entrevue. Mais en dehors d’excuses formelles à l’Assemblée nationale, son acte de mea culpa restera incomplet.

Pour l’effort de sabotage du congrès de Québec solidaire, c’est également réussi. L’élection de Ruba Ghazal comme co-porte-parole de la formation et les efforts entrepris pour en moderniser la gouvernance ont été relégués à l’arrière-plan du débat public, au profit des tensions entre les militants et l’aile parlementaire.

Pendant que les deux porte-parole, Mme Ghazal et Gabriel Nadeau-Dubois, dénonçaient les propos « maladroits », « exagérés » et « polarisants » de leur collègue, 13 associations locales et nationales, y compris celle de Gouin (la circonscription de M. Nadeau-Dubois), auraient souhaité que la formation exprime publiquement son soutien aux propos de M. Bouazzi. Québec solidaire en a été quitte pour souffler le chaud et le froid sur l’affaire Bouazzi, si bien qu’il faut se demander si le virage pragmatique espéré par l’aile parlementaire ne mènera pas à un cul-de-sac.

En définitive, Haroun Bouazzi s’est disqualifié comme porte-étendard de la lutte contre le racisme au Québec. Ce serait cependant une grave erreur de nier l’existence des disparités de traitement et des iniquités qui minent les conditions du vivre-ensemble. Le profilage racial perdure au sein de la police malgré les condamnations et les plans d’action. Le gouvernement Legault s’entête à ne pas reconnaître l’existence du racisme systémique, en jouant sur les mots, alors que des commissions d’enquête, des jugements des tribunaux supérieurs, des rapports ou études produits par des organismes gouvernementaux nomment le problème et suggèrent des mesures pour l’endiguer. L’immigration a le dos large pour expliquer les nombreuses carences du filet de sécurité sociale et les carences dans les services publics, alors qu’il s’agit de phénomènes multifactoriels. La réconciliation avec les peuples autochtones avance à reculons…

Le repli communautariste sous-jacent à l’analyse d’Haroun Bouazzi ne forme pas une base acceptable pour un débat fécond. Il faut tout de même trouver un espace pour entendre la détresse et l’inquiétude des Québécois issus de la diversité ou des Premières Nations. Ils ont droit à la pleine égalité, à leur voix discordante aussi pour dénoncer les imperfections qu’il incombe de nommer, dans un débat public qui doit demeurer vigoureux et respectueux, de part et d’autre.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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