Achat local, placements locaux?

Cette semaine, un lecteur nous a soumis une question qui s’inscrit parfaitement dans les réflexions qui entourent notre désir collectif de prendre concrètement part à la guerre commerciale dont nous sommes, comme citoyens, les otages : « Est-ce faisable de demander à mon conseiller financier de transférer tous mes placements dans des entreprises américaines vers des entreprises canadiennes, européennes ou d’autres pays ? Quels sont les risques et avantages associés à ce genre de boycottage ? Vais-je forcément perdre au change, et à quoi dois-je m’attendre ? »

J’aurais pu mettre de côté cette épineuse question. Après tout, je vous expliquais il y a tout juste deux semaines qu’une pratique élémentaire en gestion de portefeuille consiste à ne jamais prendre de décisions émotives à partir des actualités qui font les manchettes. Toutefois, je comprends parfaitement le raisonnement derrière cette question qui embrasse bien plus large. Si je ne recommande pas à notre lecteur de faire un changement aussi radical dans son portefeuille, tentons tout de même d’illustrer ensemble les risques associés à un tel boycottage.

Quels sont les risques à considérer ?

En gestion de portefeuille, un des éléments de base en matière de diversification est la diversification géographique. Les investisseurs ont naturellement tendance à investir dans des placements provenant de leur pays d’origine. Mais une surconcentration expose à plus de risques lors de ralentissements économiques, en période de dévaluation de la monnaie ou lors de turbulences politiques. Considérant les moments difficiles qui attendent l’économie canadienne dans les prochains mois, je vous laisse imager le rendement d’un portefeuille qui serait 100 % local.

D’autant que le marché canadien est très concentré dans les secteurs financiers et de l’énergie, ce qui nuit à la diversification sectorielle, autre facteur important à prendre en compte. Comme les investissements canadiens ne représentent qu’environ 5 % des placements disponibles, il faut impérativement compenser au minimum avec des placements internationaux.

La croissance des marchés américains a engendré dans bien des portefeuilles une forte exposition à ceux-ci et aux entreprises du secteur technologique et des entreprises de grande capitalisation. Une approche plus équilibrée serait de profiter de l’occasion pour diminuer celle-ci au profit de réinvestissements dans les marchés canadiens, internationaux et émergents. Il faut toutefois bien comprendre que vous risquez de diminuer le rendement de votre portefeuille de façon importante : les actions américaines performent davantage que les actions canadiennes, européennes et internationales pour de nombreuses raisons.

Vous y tenez toujours ?

En utilisant des fonds indiciels canadiens et internationaux, il sera plus facile de vous « coller » à certaines régions du globe. Si vous utilisez des fonds en gestion active, il faudra analyser davantage vos choix avec votre conseiller. En effet, des fonds avec des mandats canadiens ou mondiaux peuvent détenir une certaine proportion de titres américains. Il faut lire le prospectus sur fonds pour trouver cette information. Enfin, l’économie étant mondialisée, vous pourriez investir dans des entreprises internationales qui traitent avec des fournisseurs américains ou qui ont des activités et des revenus provenant des États-Unis. L’exposition indirecte au marché américain semble donc inévitable.

Essayer d’anticiper les marchés est un exercice toujours périlleux. Ainsi, un facteur de réflexion est le niveau de conviction à long terme. Actuellement, il est fort probable que si vous vendez vos placements américains, vous encaisserez des gains dans bien des cas. Mais si vous décidez de revenir à un portefeuille de construction plus traditionnelle dans quelques mois ou dans un an, qui sait à quel prix vous allez payer les mêmes titres, et si vous aurez à encaisser une perte sur vos placements patriotiques.

Au-delà de la composition actuelle de votre portefeuille, il faut aussi continuer à faire de nouveaux investissements. Résistez à la tentation d’attendre le bon moment. Les nouveaux investissements que vous ferez cette année pourraient être une façon mieux dosée de démontrer vos convictions, en dirigeant vos capitaux ailleurs qu’aux États-Unis, en comprenant bien que vous risquez de rater de belles occasions de rendement.

Toujours convaincu de vouloir vous détacher de ce marché ? Voici quelques questions en rafale à se poser et à discuter avec un expert pouvant vous offrir des conseils neutres.

— Est-ce que mes placements sont détenus dans des comptes enregistrés ? Sinon, vous devez comprendre que la disposition de la portion américaine entraînera une imposition en gain en capital.

— Est-ce que je peux envisager une diminution graduelle de mon exposition au marché américain, ou est-ce important pour moi d’y aller en une seule transaction ?

— Est-ce que mes placements américains incluent une gestion du risque de change ? Sinon, il faudra considérer cet élément dans les conséquences financières de votre choix politique.

— Est-ce que je comprends bien la composition actuelle de mon portefeuille ? Il est important d’avoir un portrait clair avant de prendre une décision.

En terminant, je ne vous dirai pas que le portefeuille de placement ne peut pas refléter vos valeurs. Après tout, je suis la première à laisser un peu de rendement de côté pour limiter la présence du secteur des combustibles fossiles dans le mien. Il est par contre impératif de prendre ce type de décision de la façon la plus rationnelle possible, sans impulsion, et en mesurant bien les risques sous-jacents.

Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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