Le poète et éditeur Jean-Sébastien Larouche est décédé

Jean-Sébastien Larouche, en novembre 2018
Photo: Valérian Mazataud archives Le Devoir Jean-Sébastien Larouche, en novembre 2018

Le monde de la poésie québécoise est en deuil de l’une de ses plus fulgurantes voix contemporaines. Le poète et éditeur Jean-Sébastien Larouche se serait vraisemblablement enlevé la vie mercredi soir à l’âge de 51 ans, a-t-on appris jeudi à travers la vague de témoignages livrés par ses amis et collègues sur les réseaux sociaux. « Il était le poète préféré de tellement de gens », témoigne avec émotion son ami et collaborateur Carl Bessette, qui nous a confirmé la nouvelle.

« Il était tellement aimé dans le milieu, ça n’a aucun sens tout l’amour que les gens avaient pour lui », assure l’écrivain Carl Bessette, avec qui Larouche avait fondé les Éditions de l’Écrou en 2009. « En ce moment, je me trouve avec des poètes qui l’ont côtoyé ; ils m’ont tous dit : Jean-Sébastien était le poète de notre génération. Personne n’a autant porté la voix de cette génération, et pour les gens qui sont venus après, la grande chose que JS a faite, c’est de dire : il n’y a pas de différence entre la manière dont je dis mes textes et la manière dont le lecteur les lira. »

Car Jean-Sébastien Larouche s’est d’abord illustré en portant ses textes à la scène, raconte le romancier et poète Maxime Catellier. « Larouche, c’est peut-être le premier poète québécois que j’ai lu, à un âge où je lisais plutôt Baudelaire et Rimbaud ; j’ai rencontré Jean-Sébastien en arrivant à Montréal, dans les soirées de lecture de poésie. On imagine mal aujourd’hui la puissance scénique de ce gars-là. Il prenait le micro comme un chanteur punk des années 1970 qui s’en venait tout casser. »

Originaire de Sainte-Foy, Larouche plonge tôt dans la poésie, les mots sur papier autant que ceux livrés devant public. Lanctôt éditeur publie ses trois premiers recueils : Le pawn shop de l’enfer (1997), Rose et rasoir (1998) et Dacnomanie (2000, finaliste au prix Émile-Nelligan).

Actif sur la scène spoken word, il remporte en 2007 la première édition du Grand Slam national de poésie et représente l’année suivante le Québec à la Coupe du monde de slam de poésie, qui se déroule en France.

Les Éditions de l’Écrou, un tremplin

Avec Bessette, Jean-Sébastien Larouche fonde en 2009 les Éditions de l’Écrou, détonateur de la poésie québécoise qui a publié nombre de premières oeuvres, dont celles de Marjolaine Beauchamp (Aux plexus, 2010), Maude Veilleux (Les choses de l’amour à marde, 2013) et Jean-Christophe Réhel (Bleu sexe les gorilles, 2014).

« J’avais essuyé des dizaines et des dizaines de refus en envoyant mes manuscrits dans les maisons d’édition : lui m’a donné ma première chance », raconte Réhel. « J’ai compris des années plus tard qu’il n’aimait pas particulièrement mon livre, mais que c’est moi qu’il aimait. Il me disait toujours : Réhel, ton ostie de poésie de planchers propres, peux-tu plutôt creuser dans tes tripes pour écrire quelque chose qui te fait vibrer ? C’est lui qui m’a appris à écrire de la poésie, non pas pour flasher, mais pour dire des vraies affaires. Jean-Sébastien, ça a toujours été ça : il aimait les textes percutants qui lui décapaient la peau et le coeur, mais il aimait aussi cette fraternité, même si c’était un grand solitaire. »

Maxime Catellier insiste sur la dimension « non littéraire » de la démarche de Larouche, rappelant que les Éditions de l’Écrou refusaient de demander des subventions gouvernementales et que le disparu finançait sa maison à même son salaire d’ouvrier dans une malterie.

« Il était à contre-courant du milieu de l’édition, ne voulait rien savoir de lui », assure Catellier. « Et une chose est sûre : Jean-Sébastien a amené plein de gens qui n’avaient pas pensé faire de la littérature à en faire. À cause de son influence, dans ces 30 dernières années, je ne vois personne d’autre qui ait autant d’importance que lui. On ne peut pas savoir ce qui va rester de ce qu’on écrit dans 20, 30, 50 ans, mais s’il y a une personne dont je suis sûr qu’on lira les textes longtemps, c’est Larouche. »

Carl Bessette estime que son ami a « révolutionné » la poésie québécoise « en étant le premier à dire : “Moi, je veux que ce que vous ressentez lorsque je suis sur scène soit la même chose que ce que vous recevrez en lisant mes livres.” Il l’a non seulement fait pour lui-même, mais ensuite à titre d’éditeur. Avec chaque poète, il insistait : “Lis ton texte à voix haute, on va t’écouter, puis on va s’assurer qu’il soit écrit dans le livre tel que tu le dis.” Ça, c’était très important pour lui. »

Des longueurs dans le Styx, le dernier recueil de Jean-Sébastien Larouche, a été édité en 2018 par l’Écrou. Son anniversaire est le 2 février, « et ce jour-là, on organisera une grande célébration de sa vie, avec des poètes qui liront ses textes », promet Bessette. « Ça fait 30 ans qu’il est le poète numéro un de tant de gens, mais JS n’arrivait pas à recevoir tout cet amour. C’est un réel choc aujourd’hui. »

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