L’écrivaine Hélène Pelletier-Baillargeon est décédée

Cheveux blancs étincelants, toujours digne et posée, l’écrivaine Hélène Pelletier-Baillargeon est décédée. Féministe, sociale-démocrate, catholique, essayiste, habituée des pages des quotidiens québécois comme de celles de quantité de revues auxquelles elle a collaboré, elle avait 93 ans. Membre du Conseil supérieur de l’éducation, conseillère politique de Camille Laurin à l’heure où il était ministre de l’Éducation, elle dirigea Maintenant, une revue réformiste attachée aux préceptes de justice et de fraternité du catholicisme. Elle tint aussi des chroniques dans plusieurs imprimés, dont Châtelaine.
Le grand public l’aura aussi connue comme biographe. Elle consacre de longues recherches à Olivar Asselin, un journaliste qui sera connu en son temps pour ses coups de gueule et sa plume acérée. De 1996 et 2010, elle publie en trois tomes la vie de ce personnage. Hélène Pelletier-Baillargeon dresse d’Asselin un portrait avantageux auquel elle greffe, dans la tradition de la biographie littéraire, un récit de son cru de l’évolution de la société canadienne-française.
Elle va aussi publier, en 1985, une biographie de la militante Marie Gérin-Lajoie. Pour Marie Gérin-Lajoie. De mère en fille, la cause des femmes, l’écrivaine obtient le prix Maxime-Raymond, décerné par l’Institut d’histoire de l’Amérique française, en plus d’être finaliste pour le Prix du Gouverneur général.
Au cours des années 1970 et 1980, Hélène Pelletier-Baillargeon collabore à quantité d’imprimés, dont Relations, RND, Communauté chrétienne, Possibles, L’Action nationale, Cahiers de recherches éthiques, Le Devoir et Le médecin du Québec.
Elle tient longtemps une chronique politique dans les pages du magazine Châtelaine. Puis, le quotidien La Presse lui confie une chronique hebdomadaire de 1986 à 1989. En certaines occasions, elle agit comme porte-parole et prête-plume pour la Ligue d’Action nationale ainsi que pour le Mouvement national des Québécois et Québécoises.
Féministe et nationaliste
Hélène Pelletier-Baillargeon voit dans les luttes féministes « une courageuse et lucide participation à la révision globale du contrat social ». Le féminisme constitue, dit-elle, une révision nécessaire de l’état de notre civilisation, dans la mesure où il va dans le sens d’une « aspiration vers une société plus humaine, plus juste et plus égalitaire ».
Comme son amie Simonne Monet-Chartrand, elle croit « que les déshérités de la vie ont autant besoin des aliments de la pensée et de la beauté que de nourriture et de vêtements ». Croyante, elle considère en outre que « l’origine purement laïque de nos valeurs de solidarité et d’entraide », que l’on prête à la Révolution tranquille, est un mythe qui ne tient pas compte de l’expérience religieuse qui a modelé de longue date la société québécoise.
Née en 1932, fille du notaire Dominique Pelletier, Hélène Pelletier-Baillargeon appartient à une famille de nationalistes canadiens-français, tous ardents catholiques. Son oncle, Georges Pelletier, succède à Henri Bourassa comme directeur du Devoir. Cet homme à la pensée conservatrice restera à la tête du journal jusqu’à sa mort, en 1947. Dans ce monde très particulier, Hélène Pelletier-Baillargeon se souviendra, enfant, avoir marché en tenant la main du prêtre historien Lionel Groulx.
Très tôt, elle donne une pente sociale à ses idées tout en restant attachée aux préceptes de l’Église. Elle s’intéresse de près, en particulier, à la condition des femmes dans sa société. Attachée à des mouvements sociaux de la gauche chrétienne, elle va plaider, en compagnie de son mari, le Dr Jacques Baillargeon, en faveur de la régulation des naissances. En 1976, elle fait paraître Une nouvelle morale sexuelle, n’en déplaise aux cadres d’une Église qu’elle critique avec diplomatie. Elle demeure une croyante sa vie durant.
En 1995, le gouvernement de Jacques Parizeau la nomme commissaire auprès de l’ex-ministre Marcel Masse, alors président de la Commission de Montréal sur l’avenir du Québec. Elle rédigera chez elle, en compagnie du plus jeune commissaire, l’essentiel du rapport qui sera remis au gouvernement.
Un engagement social-démocrate
« Mon engagement politique a eu lieu un peu sur le tard, en 1970 », écrit-elle dans Le pays légitime (1979), un recueil de ses chroniques publiées dans le magazine Châtelaine. Le gouvernement de Jean-Jacques Bertrand, le dernier de l’Union nationale, venait d’adopter la loi 63. Une mesure linguistique qui promettait de ne pas régler la situation du français, explique-t-elle. Aux yeux d’Hélène Pelletier-Baillargeon, cette loi était une honte, un non-sens qui faisait en sorte de reléguer le français, encore une fois, à une situation précaire. Elle va s’y opposer énergiquement.
Sa vie durant, elle considère la question linguistique comme tout à fait primordiale. Elle sera sans cesse très préoccupée par la qualité du français, son usage, son enseignement.
Dans les pages de Châtelaine, Hélène Pelletier-Baillargeon affirme à plusieurs reprises, tout au long des années 1970, son plaisir de voir que l’idée de la social-démocratie a pris du galon au Québec. « Celle-ci ne saurait être que bénéfique à tout le monde. »
Elle s’inquiète à répétition du peu de cas qu’on fait du système d’éducation public, en prédisant sa dégradation si la vapeur n’est pas renversée. Elle plaide pour que l’histoire soit enseignée aux enfants, que ceux-ci aient enfin accès à un vaste choix de livres et que la télé, enfin, pense mieux à eux.
Très tôt, elle plaide pour un accès urgent des femmes à des postes de direction sociaux et politiques. Elle n’aura de cesse de s’intéresser à la condition des femmes, citant volontiers des modèles et des expériences historiques à ses lecteurs pour favoriser un rattrapage au bénéfice de l’égalité des genres.
Hélène Pelletier-Baillargeon est appréciée comme conférencière. Elle traite, devant des auditoires variés, avec un tact raffiné, de questions en rapport avec l’éducation, la condition des femmes, la vie ecclésiale, les politiques familiales et culturelles.
Elle sera des batailles conduites par l’Union des écrivains. Elle est aussi membre du conseil d’administration du Musée des beaux-arts de Montréal, de même que du Conseil supérieur de l’éducation du Québec. Elle siège aussi au conseil des affaires sociales de l’Assemblée des évêques du Québec, au conseil d’administration de la Fondation Lionel-Groulx ainsi qu’à celui des Éditions Fides, une enseigne où plusieurs de ses livres seront publiés.
En 1954, à une époque où les femmes sont encore très peu nombreuses aux études supérieures, Hélène Pelletier-Baillargeon avait obtenu une maîtrise en lettres de l’Université de Montréal. Elle poursuivra ses études à la Sorbonne et à l’École pratique des hautes études de Paris, dans l’intention de déposer une thèse de doctorat consacrée à François Mauriac, lauréat du prix Nobel de littérature.
À son retour au Québec, près des milieux catholiques, elle collabore à la revue Maintenant, attachée aux Dominicains, avant d’en devenir la directrice en 1973. Elle s’y lie d’amitié notamment avec le sociologue Fernand Dumont et l’écrivain Pierre Vadeboncœur. Avec ce dernier, elle entretient une importante correspondance pendant plusieurs années. L’essentiel de leurs échanges est rassemblé dans Le pays qui ne se fait pas (2018). Les deux écrivains s’y montrent plutôt sombres devant les perspectives sociales et politiques du Québec.